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traduction française de textes anglais; éditoriaux; revue de presse


Les droits de Miranda : ce que l’indépendance de l’Amérique Latine pourrait enseigner à l’Europe

Publié par Mark Weisbrot; traduction Hervé Le Gall sur 26 Août 2013, 00:18am

Catégories : #Guardian, #AmSud, #Snowden

http://www.theguardian.com/commentisfree/2013/aug/20/miranda-rights-europe-latin-america

Les droits de Miranda : ce que l’indépendance de l’Amérique Latine pourrait enseigner à l’Europe.

La réaction du Brésil à la détention du compagnon de Glenn Greenwald démontre que l’Amérique du Sud ne suit plus la ligne de Washington.

Mark Weisbrot

theguardian.com, Mardi 20 Août 2013

À quelques rares exceptions près, la plupart des pays d’Europe n’ont plus de politique étrangère indépendante depuis 70 ans, une situation que le Royaume-Uni illustre de manière exemplaire. Je me souviens qu’il y a quelques années, alors que nous discutions de la politique étrangère britannique, un membre du Parlement du Royaume-Uni me déclara :

Vous voulez savoir ce que va faire le « Foreign Office » ? Posez la question au « State Department ».

Le gouvernement britannique a donné une preuve de plus que, pour lui, les États-Unis passent avant tout, lorsqu’il profita du passage de Daniel Miranda, le compagnon brésilien de Glenn Greenwald, par l’aéroport de Londres-Heathrow, pour le placer en détention, en vertu de la Loi 2000 sur le Terrorisme (« Terrorism Act 2000 »). Son interrogatoire dura 9 heures, le maximum prévu, après confiscation de son ordinateur et de son téléphone portables, ainsi que de tout autre matériel de stockage de données numériques.

De toute évidence, Miranda ne pouvait être soupçonné d’entretenir le moindre rapport avec le terrorisme. Sa détention, la confiscation de son matériel, sous ce prétexte, sont tout aussi illégales que si on les avait ordonnées, dans le cadre d’une accusation de trafic de cocaïne, fondée sur des preuves fabriquées de toutes pièces. Lorsque la Maison Blanche avoua que Washington avait eu connaissance du délit à l’avance, il devint possible d’en déduire l’approbation, pour ne pas dire la collaboration active du gouvernement du Royaume-Uni.

L’intérêt de cette affaire réside également dans le fait que, jusqu’à présent, ce gouvernement avait fait preuve d’une relative discrétion dans l’affaire Snowden, bien que Snowden eut divulgué le contenu de ses propres fichiers de renseignement, et pas uniquement de ceux de la N.S.A. Jusqu’à dimanche, les autorités britanniques donnaient l’impression d’avoir retenu, au moins en partie, la leçon de l’an dernier, lorsque leur menace d’envahir l’ambassade équatorienne de Londres, pour y capturer Julian Assange, leur valut d’être pointées du doigt par la communauté internationale. Elles continuent néanmoins de violer la loi, en prolongeant la séquestration d’Assange dans l’ambassade, sans doute sur l’ordre de qui-vous-savez.

Le rédacteur en chef du Guardian, Alan Rusbridger, vient de révéler que des instances supérieures du gouvernement du Royaume-Uni profèrent, depuis quelque temps, des menaces graves, à l’encontre de son journal, qu’elles harcèlent, afin d’essayer d’en étouffer les reportages.

À l’autre extrémité de l’éventail des souverainetés nationales, se trouvent les nations indépendantes de l’Amérique Latine, et parmi elles les trois qui ont offert l’asile à Snowden, tandis que jamais aucune des autres ne le livrerait aux États-Unis, si par hasard il atterrissait sur leur territoire (ou demandait l’asile à l’une de leurs ambassades). Ces gouvernements ont pu jouer un rôle majeur dans l’affaire Snowden, ainsi que dans le scandale des pratiques d’espionnage de la N.S.A., parce qu’au cours des quinze dernières années, elles sont parvenues à une « seconde indépendance », qui leur donne la possibilité de mener une politique étrangère autonome.

Sous prétexte de démagogie populiste, les médias dominants, dans leur ensemble font semblant de ne pas voir ou, pire encore, dénigrent la manière dont ils exercent cette indépendance toute neuve. Mais, si l’on regarde le problème avec les yeux de Washington, sa complexité devient tout de suite plus évidente.

Antonio Patriota, le ministre des Affaires Étrangères du Brésil, a exigé que William Hague, qui exerce la même fonction au sein du gouvernement britannique, apporte des réponses aux questions qu’il posait sur la détention de David Miranda. La semaine dernière, lors d’une conférence de presse qu’il tenait en compagnie de John Kerry, le ministre étatsunien des Affaires Étrangères, Patriota évoqua les révélations de Snowden, ainsi que les reportages de Greenwald, sur la désignation des citoyens brésiliens comme cibles prioritaires de la surveillance de la N.S.A., et « l’ombre de méfiance » dont ces informations étaient à l’origine.

Patriota est l’ancien ambassadeur du Brésil à Washington – et personne ne peut l’accuser de garder rancune contre les États-Unis. La semaine dernière, il exigea que l’Administration Obama « mette fin à ses pratiques de violation de la souveraineté ».

Dans un passé récent, la présidente du Brésil, Dilma Roussef avait, elle aussi, exprimé son « indignation », au sujet de ce que la Bolivie a décrit comme « l’enlèvement » de son président, Evo Morales, par les gouvernements européens lorsque, le mois dernier, ils forcèrent son avion à atterrir – sur la base d’allégations mensongères, faisant état de la présence à bord d’Edward Snowden. L’Union des Nations Sud-Américaines (UNASUR) publia une dénonciation virulente, que Christina Kirchner, la présidente de l’Argentine, compléta par les mots suivants :

Nous croyons que ceci ne représente pas uniquement l’humiliation d’une nation sœur, mais bien de l’Amérique du Sud toute entière.

Le Brésil constitue la cible principale de la plus récente des offensives de charme de Washington, c’est pourquoi la visite officielle de la présidente Rousseff est programmée pour Octobre – il s’agira de la première visite aux États-Unis d’un président brésilien, depuis presque vingt ans. Par contraste, les États-Unis n’entretiennent même pas de relations entre ambassades, avec la Bolivie, ni avec le Venezuela. Pourtant, les tentatives étatsuniennes d’amélioration de leurs relations avec le Brésil, ne sont guère plus fructueuses que leurs « efforts diplomatiques » envers les autres gouvernements de gauche de la région.

Ce n’est pas que ces gouvernements s’opposent à des relations apaisées. Tous, Venezuela compris, entretiennent avec les États-Unis des relations, économiques et commerciales, de première importance, qu’ils voudraient développer. Le problème vient de Washington, qui n’accepte toujours pas la seconde indépendance de l’Amérique Latine, mais attend au contraire de ses voisins du sud qu’ils se comportent avec la même docilité éhontée, que les pays européens.

Par ailleurs, les responsables étatsuniens ne parviennent toujours pas à comprendre qu’ils ont affaire à une équipe: ils ne peuvent se montrer hostiles, agressifs envers une nation latino-américaine, et s’attendre à ce que les autres leur sautent dans les bras. En d’autres termes, dans un futur proche, n’escomptez pas une quelconque amélioration des relations entre Washington et ses voisins du sud.

L’aspect positif des choses est que, depuis dix ans, l’Amérique Latine se comporte de manière remarquable, en fait depuis que ses peuples ont bénéficié d’une liberté suffisante, pour leur permettre d’élire des gouvernements de gauche. Une fois élus, ceux-ci ont mené la lutte pour l’indépendance, tout en modifiant les rapports entre nations de cette région. Le taux de pauvreté y est tombé de 41,5% à 29,6%, entre 2003 et 2009, après une période de plus de vingt ans, au cours de laquelle aucune amélioration n’avait été constatée. Au cours des dix dernières années, le revenu par personne a progressé de plus de 2% par an, par opposition aux 0,3% de progression des vingt années précédentes – une période au cours de laquelle Washington exerçait une influence énorme sur la politique économique de l’Amérique Latine.

Les détracteurs des gouvernements de gauche attribuent ces progrès à un « boom des matières premières », mais il ne s’agit là que d’une partie de l’histoire. La région n’aurait jamais obtenu de tels résultats, en matière d’emploi, ou de réduction de la pauvreté, si le Fonds Monétaire International (F.M.I.) y imposait toujours sa volonté.

Quant aux dirigeants européens, disons qu’ils n’ont rien d’autre à perdre que leur dignité nationale, à laquelle ils ne semblent pas tenir énormément. Il n’en demeure pas moins que le jour où les pays européens seront plus nombreux à se déclarer indépendants de Washington, comme l’ont fait la plupart des pays d’Amérique Latine, nous vivrons dans un monde plus sûr, un monde meilleur.

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